À l’image de ce roman graphique que je viens de finir, il y a dans ma tête une frénésie de mots. J’ai tant à dire, ça m’a l’air simple et pourtant. La partition est complexe.
Comment transformer la musique en mots, les mots en musique ? Comment faire du beatbox avec des bulles de bande dessinée ? Bienvenue dans le monde du Piano Oriental où vous lirez ce que vous entendrez, et vous entendrez ce que vous lirez.
C’est mon deuxième roman graphique (après le très bon L’arabe du futur de Riad Sattouf). Sa couverture m’a hypnotisée. Une élégance dans les couleurs. La simplicité d’un style. Du noir, du blanc, du doré.
Au pays de : "Le rêve d'Abdallah Kamanja de mettre au point un Piano Oriental, et son ingénieuse tentative de rapprochement entre les musiques d'orient et d'occident, éveillent un écho dans la vie de Zeina Abirached. Un récit double qui explore avec humour et tendresse le rapport de l'auteur à ses deux langues maternelles, le français et l'arabe."
S’y plonger
Il m’arrive, comme beaucoup d’entre vous, d’avoir de l’empathie pour les personnages des romans que je lis. Parfois à raison : je m’identifie, je ressens. Parfois, à blanc : je compatis, je comprends. Le Piano Oriental a créé une nouvelle couleur dans cette palette de sentiments. Je ne sais trop encore comment la qualifier. En revanche, je me suis surprise à sourire, séduite par le visage d’Abdallah, l’un des deux personnages principal du roman. J’ai été habituée au pouvoir des mots. J’ai rarement ressenti avec une telle évidence la puissance des traits.
J’ai souri oui, mais pas à la lecture du roman. Non, j’ai souri à Abdallah.
L’espace de deux jours, j’ai eu quelqu’un en face de moi. Il m’a emmenée escalader son piano. Il m’a fait chercher avec lui comment inclure ce fameux quart de ton si spécifique aux musiques orientales. Il m’a fait découvrir, aussi, l’histoire de son arrière-petite-fille, et son habileté à réconcilier les deux parties d’elle-même, ses deux langages (le français et l’arabe). Ses deux musiques.
Il existe dans ce roman deux portées, une noire et une blanche, soyez attentifs. Elle se lisent séparément. Elles nous signalent deux lectures. Elles orchestrent. Puis nous mènent, finalement, à une histoire commune
La musicalité
Tout est rythme, tout est note. Ce roman est une partition : les codes sont précis, les rythmes inattendus.
Ça se dessine, ça se lit et ça se joue.
C’est un roman à deux mains, à quatre mains, à six mains : celles de l’auteur, du dessinateur et du lecteur. Le piano oriental, partition pour un lecteur qui s’y perd et s’y retrouve, rattrapé au vol par une onomatopée, un trait, un son.
L’enchantement
Le graphisme est impressionnant. Je ne lis pas, je consulte, j’observe. Je regarde plus une oeuvre que je lis un livre. Je m’arrête sur chaque ligne, les yeux écarquillés. Epatée par tant de maitrise. Jeux de mots, d’images et de sons, les métaphores prennent vie et nous font accéder à un autre monde.
Je suis réellement entrée dans l’histoire. Et comme dans chaque histoire, parfois, il y a des éléments moins bien appréhendés, gardant une part de mystère. Je n’ai peut-être pas tout compris sur le moment, mais c’était bien comme ça. Comme dans la vie, laisser de l’air à l’autre, sa part de mystère. Laisser de l’air à l’autre, c’est pouvoir penser à lui, en clair et en obscur, en clarté et en flou. C’est ça qui me fait sourire, un peu comme de savoir que je ne suis pas la gardienne d’un secret, mais que j’en connais l’existence.
Le graphisme du roman offre une liberté à l’énonciation, chaque objet a sa part de vivant. Chaque lecteur est accueilli. Il a la liberté de choisir ce qu’il regarde, par où il veut commencer, par où il veut finir.
Merci, Zeina Abirached, d’avoir été capable de conter une histoire tout en offrant la liberté au lecteur de se mouvoir, à l’intérieur, comme il l’entend.
La phrase : "Être un piano oriental, c'est ouvrir une fenêtre à Paris et s'attendre à voir la mer."
Le tip : Abdallah est l'arrière grand-père de Zeina.
L'itinéraire : Zeina Abirached, Le piano oriental, Éditions Casterman, 2015. 232 p.