Je suis repartie en voyage avec Mathias Énard. Toujours en Orient, mais moins nomades qu’avec Boussole, cette fois-ci, c’est à Constantinople que nous nous sommes arrêtés.
Le Constantinople des sultans, le Constantinople des vizirs et des pachas, des Ottomans et des Francs, des Espagnols. Le Constantinople d’avant le pont Galata, celui qui traverse la Corne d’Or.
J’étais excitée par ce voyage, je l’attendais, à vrai dire, depuis la fin de notre dernier périple. J’étais anxieuse aussi, y aurait-il à nouveau autant de références culturelles et historiques, ma tête tournerait-elle encore de ne pas tant savoir ? Le voyage serait-il aussi poétique et envoutant ? Allions-nous rencontrer autant de nouvelles personnes qu’à notre précédente aventure ? Serions-nous tantôt ici et tantôt là-bas, mêlant deux mondes, deux époques, deux univers ?
Mathias Énard a soufflé mes doutes. D’un tour de page. En quelques phrases.
Nous n’allions rencontrer que Michel-Ange, le grand Turc Bajazet (Beyazid), le grand vizir Ali Pacha, un ou deux poètes et une chanteuse…
Au pays de : « En débarquant à Constantinople le 13 mai 1506, Michel-Ange sait qu’il brave la colère de Jules II, pape guerrier et mauvais payeur : il a en effet laissé en chantier l’édification de son tombeau, à Rome. Mais comment ne pas répondre à l’invitation du sultan Bajazet qui lui propose - après avoir refusé les plans de Léonard de Vinci - de concevoir un pont sur la Corne d’Or ? »
Plonger
Nos plongées sont courtes, rapides, mais suffisantes. Elles permettent de m’éveiller, sans pourtant me sortir de la réalité du voyage. Elles me gardent en état de demi-conscience. Elles me gardent en observation.
Nos visites à Michel-Ange sont néanmoins profondes. Suffisamment pour faire naître en nous de l’empathie, pour ressentir ses obsessions, et subir son ego déroutant.
Ces immersions sont passionnantes et poétiques. Elles me parlent de batailles, de rois et d’éléphants. De bien d’autres choses. De travail et d’amour, de passion et d’inspiration, de géopolitique de l’époque. De fêtes et de festins. De ce qui était et de ce qui aurait pu.
Elles me font rêver.
Respirer
J’y crois et j’y crois fort. J’attends la construction de ce pont. Je m’impatiente. Mon compagnon de voyage m’aide et me divertit. Il me raconte des histoires, des histoires d’amour, d’amour blessé, de trahison.
Mathias Énard manie le verbe et le rythme, les mots et les couleurs, les formes et les odeurs, aussi envoutantes qu’amères.
Je suis partie pour ce voyage avide d’apprendre, de rencontrer, de découvrir. J’ai découvert un monde ancien. J’ai appris. J’ai même cru à l’incroyable.
La phrase : « Tu ne sais rien de moi, nous n’avons que la nuit en commun.»
Le tip : Croyez-y, c’est encore plus magique.
L’itinéraire : Mathias Énard, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Babel, 2010. 176p.