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L’invention des corps, Pierre Ducrozet


Photo du livre "L'invention des corps" de Pierre Ducrozet (1)

​Au pays de : « […] Alvaro, jeune prof mexicain, surdoué de l’informatique [est] en cavale après les tragiques évènements d’Iguala, la nuit du 26 septembre 2014 où quarante-trois étudiants disparurent, enlevés et assassinés par la police. Rescapé du massacre, Alvaro file vers la frontière américaine, il n’est plus qu’élan, instinct de survie. Aussi indomptable que blessé, il se jette entre les griffes d’un magnat du Net, apprenti sorcier de la Silicon Valley, mécène et apôtre du transhumanisme […] »

En refermant L’invention des corps, je ne sais plus qu’une seule chose : je n’aurais pas assez de mots pour décrire ce que je viens de lire. Ni assez de métaphores pour traduire mon ressenti, mes ressentis, à chaque page tournée.

Qui est Pierre Ducrozet ? Qui est cet homme qui ose parler de nous ? Comment a-t-il réussi ce pari fou et brillant de mêler roman et essai sociologique, hymne à l’homme et pamphlet contre la modernité, roman d’amour et thriller haletant ? Comment alors parler de ce livre, à la fois distant et familier, effrayant et attachant, traitant autant de liberté des corps que de corruption des esprits ?

L’animalité

« Il est aussi loin que possible des mots et des autres. »

Derrière le titre énigmatique de ce roman, se cache une écriture vive : quelque chose de primitif, d’animal s’y retranche. Seule la ponctuation nécessaire demeure vivante entre les lignes de L’invention des corps. Elle est libre et se meut, au rythme des mots qui l’entourent. Sa liberté dérange. Elle défait les clichés et réinvente le style. Elle traduit surtout l’urgence d’écrire.

Derrière les mots tranchants, parfois familiers, souvent vulgaires à mesure que l’histoire se fait pressante, se trouve une histoire poignante, imbriquée au cœur des enjeux du XXIe siècle.

Derrière cette histoire poignante se terre la réalité. La nôtre. Celle qui s’imprime et se lit, étonne et désespère.

Photo du livre "L'invention des corps" de Pierre Ducrozet (2)

Le contrôle

« Les gestes ont un temps de retard sur les choses »

Pierre Ducrozet est visuel. Il décrit admirablement l’être humain et son humanité, dans ce qu’elle peut avoir d’insupportable. L’essence de chacun des désirs, chacun des besoins est dépeint avec justesse. Tout est précis et rien n’est évidemment superficiel. Dans une histoire où la technologie est le personnage principal, le héros est pourtant la nature. Elle se débat contre la culture, les nécessités sociales et injonctions sociétales.

À la nature indomptable, Pierre Ducrozet oppose cependant le contrôle terriblement efficace de sa narration. Celle-ci donne le vertige, effraie parfois par tant de sciences, de données, et de non-fiction, mais l’auteur sait réintroduire l’humain à temps, juste avant que le lecteur ne se noie. Ne se noie dans ce texte si intelligemment documenté, créant alors un roman, non écrit, mais composé. Les récits s’intercalent et se font vivre les uns les autres.

La force de L’invention des corps est multiple. À la manière d’un réseau, elle se déploie et se propage, crée des liens et se terre, sans doute à jamais, dans l’esprit de son lecteur. Pourtant rien n’y parait. Seule l’urgence, encore, est là. Celle de respirer, de vivre dans son corps. Avec son corps.

La phrase : « L’art n’a ni début ni fin, il n’a pas de thèmes ou de personnages fixes, de point A et de point B, il se développe librement, comme un chancre, un tentacule, une herbe fille, et il ira où il voudra bien aller. Il doit être libre, moderne, fou ; c’est un réseau, lui aussi. »

Le tip : Si vous n’aimez pas les excès de familiarité dans les romans, passez éventuellement votre chemin.

L’itinéraire : Pierre Ducrozet, L’invention des corps, Actes Sud, 2017. 304 pages.

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