Au pays de : « Elle a été enlevée à sept ans dans son village du Darfour et a connu toutes les horreurs et les souffrances de l’esclavage. Rachetée à l’adolescence par le consul d’Italie, elle découvre un pays d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion. Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entre dans les ordres et traverse le tumulte des deux guerres mondiales et du fascisme en vouant sa vie aux enfants pauvres. »
Ce « elle », c’est Bakhita. Et ce prénom n’est pas le sien. Avant « Bakhita », avant ces sept ans qui marquent son rapt, cette enfant s’appelait autrement. Elle l’a oublié. C’est pourtant avec ce prénom que son père l’avait présentée à la lune. Et c’est ce prénom que, toute sa vie durant, Bakhita cherchera.
Véronique Olmi n’est sans doute pas la première à écrire sur cette femme hors du commun, esclave, domestique, puis nonne. En revanche, elle est probablement la première à avoir procuré à Bakhita la renommée qu’elle mérite.
La souffrance
S’il ne fallait lire que les 150 premières pages d’un roman, alors il faudrait lire les 150 premières pages de Bakhita pour l’incroyable défi que cela doit représenter de raconter l’histoire de cette enfant avec autant de délicatesse et de détails, avec autant d’honnêteté et de pudeur.
Des kilomètres à pied dans le désert aux tortures, des humiliations aux déchirements physiques et psychologiques, toute la souffrance de Bakhita est là, à portée de phrases. Elle habite chaque page du roman. Son histoire est déchirante. Ce qu’elle a vécu, affreux, à couper le souffle d’ignominie. C’est à fermer le roman. À cligner des yeux pour éviter aux larmes de sortir. Heureusement, les chapitres sont courts et Véronique Olmi ne fait que passer le témoin de cette vie, sans pathos, sans surenchère. Les 15 premières années d’existence de cette femme sont un drame en soi, rien ne sert donc d’en rajouter.
Peut-être est-ce parce que l’auteure s’appuie sur le récit oral de sa vie que Bakhita a elle-même partagé, des années après être entrée dans les ordres que ce roman semble aussi juste. Sans doute est-ce aussi grâce aux talents de conteur de Véronique Olmi, au rythme évocateur qu’elle confère à ses phrases.
Le bouleversement
Ces évocations puissantes étaient d’autant plus une gageure que Bakhita est une énigme. Son langage est un mélange de toutes les langues qu’elle a rencontrées : son dialecte, l’arabe, le turc et l’italien. Son passé, évanoui. Et son cœur en mille morceaux. Cette énigme, l’auteure nous la transmet. Alors, on pourra comprendre qu’on ne peut pas tout comprendre et tout savoir. Que quand on oublie sa propre langue, on ne raconte qu’en songes.
Bakhita, qui sera Madre Giuseppina sera déclarée bienheureuse, puis béatifiée et canonisée par le Pape Jean-Paul II. Et vers les dernières pages du récit de Véronique Olmi, je me demande pourquoi je n’ai jamais entendu parler de cette femme au destin hors du commun. Ce n’est pas tant et seulement sa storia meravigliosa qui m’appelle, mais la combinaison de ce destin et de ce qu’elle a choisi de faire de sa liberté : se consacrer à l’autre, aux autres, aux enfants orphelins, et à sa foi.
Sa résilience et sa capacité à pardonner se feront dans la douleur. Ses incompréhensions sur l’amour, l’amour de ce patron, el paron comme elle l’appelle, seront grandes, aussi grandes que l’immense besoin qui l’anime : aimer et être aimé, donner et recevoir.
La phrase : « Elle voudrait leur dire qu’elle les aime. Mais elle ne sait pas le dire au pluriel. »
L’itinéraire : Véronique Olmi, Bakhita, Éditions Albin Michel, 2017, 464 pages.