Au pays de : « Dans un paysage de mer et de falaises d’une beauté paisible, bien loin de Tokyo, une femme en désaccord avec le monde entreprend la redécouverte d’elle-même et passe des jours heureux d’une grande douceur. »
Le voyage que propose Mayumi Inaba dans La péninsule aux 24 saisons est d’une lenteur envoutante, comme si l’ennui et le silence trouvaient enfin leur place dans un monde inadapté. Paradoxalement, ce roman est un retour au naturel, à la simplicité de ce qui préexiste à l’homme plus qu’une ode à la nature. Livre végétal et sensuel, il m’a tenue en haleine : qu’est-ce que le silence peut bien créer ?
Du rien
Il est difficile d’écrire sur le rien, le silence, sur un écrit de la vie, sans artifices ni histoires. Mayumi Inaba semble être maître en ce domaine. Écrire sur elle comme sur son livre ne lui rendra certainement pas justice.
Certains pourraient effectivement considérer La péninsule aux 24 saisons de livre plat, sans intérêt particulier à part combler les pages de descriptions de végétaux, de conversations décousues entre habitants d’une péninsule d’apparence sans histoires. Pourquoi le quotidien d’une femme mûre, seule, tokyoïte, qui a décidé de prendre une année de répit face à la vitesse enivrante et épuisante d’une grande ville pourrait intéresser quiconque ? Car après tout, que tirer des promenades en forêt aux discussions d’épicerie, pourquoi s’intéresser à l’apparition des lucioles et à la vie d’un chat ?
Rien, si ce n’est l’exact tout.
Au tout
Le tout que représente la nécessité de s’asseoir et de regarder derrière soi. De penser à ceux qui sont partis et ceux qui restent. Se donner le temps de se poser des questions, sur les champignons comestibles, les voisins qui rénovent une vieille bicoque ou sur le sens de la vie. S’autoriser à diviser les saisons, à en compter 24, et à répertorier les menues activités du quotidien, comme autant de témoins que même en pause, la vie continue.
Il est si compliqué de mettre des mots sur l’absence d’histoire, et pourtant, c’est ce repos hors de tout qui en dit le plus, qui achève le cercle d’une vie bien remplie.
La narration en clair obscur est crue, amusante, déglinguée et profonde.
Pour lire La péninsule aux 24 saisons, il faut accepter de s’embourber dans l’écriture tantôt marécageuse, tantôt cotonneuse de l’auteure. Fermer les yeux et s’embourber.
Ah, ça collera aux bottes, mais quelques minutes plus tard et comme par magie, la berge apparaîtra, baignée d’un ciel clair. Et sous ce ciel éblouissant et sans drame, peut-être pourra-t-on apercevoir les paradoxes du silence de la nature, qui a tout de l’humain et du primitif, de l’angoissant et du magique.
J’ai prévu d’aller récolter mes patates douces avec la narratrice, et vous ?
La phrase : « Je ne voudrais pas oublier de souligner l’importance de cette prise de conscience, cette volonté délibérée de ne pas s’immiscer dans les profondeurs de la communauté locale, qui a un passé riche et une longue histoire, de rester “un étranger”, quelqu’un venu d’ailleurs. »
L’itinéraire : Mayumi Inaba, La péninsule aux 24 saisons, Éditions Philippe Picquier, 2018 (2011 pour la version originale). 240 pages.