Au pays de : « […] Et sans doute fallait-il un roman pour vraiment incarner les passions de la jeune mendiante qui, après avoir suivi son père, le roi aveugle, des années durant jusqu’au terme de son parcours, contre toute prudence prend le chemin de Thèbes avec l’espoir d’empêcher la guerre entre les fils de Jocaste, ses deux frères tant aimés. Commence alors pour elle une suite d’épreuves, de doutes, d’humbles joies et d’inexorables déchirements […] »
Anouilh et Sophocle me l’ont présentée, c’est avec Henry Bauchau que j’ai appris à la connaître. Antigone. Antigone incarnée, Antigone en prose. Femme libre, passionnée, volontaire, aimante et aimée.
La lenteur
C’est à pas de loup que j’entre dans le roman. L’école est loin, tout comme le sont pour moi, les mythes et récits revisités. Mais Henry Bauchau, que je n’ai jamais encore lu, m’attire. Il parait que son écriture n’a d’égal que sa capacité à dépeindre avec finesse et justesse la psychologie de ses personnages.
Il me faut alors redécouvrir les noms et les destins de ces êtres mythologiques aux allures pourtant modernes dans ce nouvel Antigone (1997). Il me faut comprendre aussi qu’alors que les deux précédents auteurs-dramaturges ont conté le mythe d’Antigone à partir de la mort de ses frères, Henry Bauchau, lui, remonte le temps et fait de ce drame l’issue de son roman. Il n’est question alors que de vie, de découvertes, d’apprentissages, et de luttes. Les évènements mythologiques ici ne sont que des pierres sur le chemin d’une destinée.
Je prends mon temps ou plutôt, mon temps se ralentit. Il peine à entrer dans ces caves, pour admirer des peintures, il peine à comprendre les routes qui mènent aux cités, il peine à entrer dans l’eau du torrent, quand Antigone et Clios se quittent. Il peine, mais le pouvoir des mythes enchante. Et s’est bien enchantée, plutôt qu’ensorcelée que je me prends de passion, plutôt que d’affection pour cette Antigone téméraire qui n’est plus une enfant. Henry Bauchau lui attribue une maturité touchante. Elle s’accepte, comprend, fait amende honorable, mais ne renonce pas.
Le tourbillon
Point de théâtre alors, mais de la vie, de la prose, et des chants. Ce sont les chants de souffrance et d’espoir d’une Antigone qui retrouve une maison, un travail, des amis et qui, portée par cela, cherchera à se battre pour empêcher ses frères de s’entretuer. Elle s’aidera de son art pour transmettre des messages et comprendra que l’amour parfois, est le seul vecteur de haine.
Son combat sera celui d’une sœur, mais surtout d’une femme. Où est la liberté ? Que doit être la condition des femmes ? Peut-elle choisir son destin, comme elle a su le faire en accompagnant son père Œdipe sur les routes ? Peut-elle se battre ? Peut-elle parler au milieu d’une assemblée d’hommes ? Peut-elle enfin trouver l’amour malgré les interdictions ?
Antigone libre, embrase. Magnifique. D’elle émane des sons et des odeurs, des cris d’amour et de douleur qui déchirent les cœurs pour malgré tout s’y réfugier. Moderne, la Grèce antique demeure. Henry Bauchau mêle avec adresse modernisme et antiquité, et use du mythe millénaire pour transmettre encore, toujours, le même message. Roman des âges, des pages de modernisme continuent de se consumer autour des luttes intimes d’une même famille. Jalousie, violence, amour, les yeux des sœurs, le cœur des amantes, l’amour des fils. Autour, encore, aussi, d’une femme et de son droit d’être.
La phrase : « Il ne faut pas trop questionner l’espérance ».
Le tip : Antigone, d’Henry Bauchau, fait partie d’une trilogie qui débute par Œdipe sur la route, et s’achève avec Diotime et les lions.
L’itinéraire : Henry Bauchau, Antigone, Éditions Actes Sud, 1997. 368 pages.