Au pays de : « Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. »
Réparer les vivants est une « chanson de gestes », une scansion de sentiments. À peine l’ai-je fini que je cherche à en retirer l’essence. Je faillis sous le poids de la tâche : « mais, en retirer l’essence en supprimerait le tout. Comment faire ? »
Être brève. Efficace.
Autant que le livre, qui égraine vingt-quatre heures « exactement », en 281 pages, exactement.
Pour parler de ce roman, il faut suivre le rythme du cœur, ce rythme du cœur qui résume le projet de Maylis de Kerangal, dans le fond et dans la forme.
Mes ressentis ne sont pas multiples, ils ne vont pas crescendo, ils sont là, puissants, dès les premières pages, dès les premiers mots, les premières descriptions, où rien n’est encore dit.
Ils me plongent dans l’urgence de lire, de finir, de comprendre, d’arriver enfin à cette page où.
Ils insistent pour la dépasser, pour enfin laisser la vie se faire, faire retomber la pression, sortir de « l’évènement ». Celui de la mort, des transplantations, des renaissances alors. Sortir du livre.
Le lire et en finir.
Cela tombe bien, Réparer les vivants est rapide, essentiel, nécessaire. L’auteure n’a pas le temps de s’attarder, elle n’en laisse d’ailleurs pas les moyens au lecteur qui suffoque, attend, a hâte, appréhende et regrette. Trépigne de ce sens inné du suspense qu’a Maylis de Kerangal.
Je veux savoir et elle ne dit pas, passe à autre chose. C’est superficiel ? Au contraire, c’est ici que nait la vie. Dans l’alentour, dans le contexte, sur les bas-côtés. C’est dans la vie que la mort prend son sens.
Je ne veux plus savoir et tout est dit. Rien ne subsiste.
Maylis de Kerangal sait manier le vide du temps qui creuse la peur et ensevelit l’espoir. Elle sait manier l’absence de points, de tirets, de guillemets, de majuscules. L’absence de respiration. Le temps est compté. Non, il n’y a pas le temps, il ne presse plus puisqu’il n’existe plus. Il s’est arrêté, en suspens, du creux de la vague au chant du chardonneret, de la salle d’attente à celle d’opération.
Alors, le temps ramassé nous ramasse, et les vingt-quatre heures nous épuisent. Les larmes se forment, de fatigue et de tristesse. D’impuissance de ne pouvoir arrêter l’inéluctable, d’assister en silence aux mots d’adieu, qui referment une histoire comme on recoud un thorax. Avec précision et dignité.
Je dis beaucoup et pourtant ne dit rien ? Oui. Car comment parler de ce livre, qui répare les vivants en abordant l’irréparable : celui de la mort d’un enfant.
La phrase : « […] à force d’avoir vingt-trois ans elle en avait vingt-huit, à force d’en avoir vingt-huit elle en a trente et un, le temps cavale […] »
Le tip : Si vous êtes timide des larmes, sachez lire ce livre à l’écart des regards.
L’itinéraire : Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Éditions Verticales, 2014. 288 pages.