Au pays de : Édouard Louis signe son troisième livre. C’est donc en son pays que Qui a tué mon père nous mène. Son pays propre, sujet de ses écrits, comme pour En finir avec Eddy Bellegueule. Lui, sa famille, son père, son pays, son analyse. Aucun résumé, pas de 4e de couverture. Que dit Edouard Louis ?
La curiosité
En finir avec Eddy Bellegueule ne m’avait pas convaincue. Gênée par les mots, il ne s’agissait pas tant de pudeur que d’un malaise latent, filant entre les interstices de sa maison du nord de la France. L’ambiguïté de mes sentiments face à un objet médiatique plutôt que littéraire avait mené ma chronique. J’en avais fini d’Eddy Bellegueule, alors convaincue qu’il me faudrait plus qu’un livre pour côtoyer l’ivresse plutôt que le flacon.
Curieuse donc, j’ai entamé (et fini) récemment Qui a tué mon père.
Ce n’est pas un roman. Pas non plus un objet médiatique (quoique). Est-ce un objet littéraire ? Plus, pire, ce n’est pas de la littérature, ni même de l’écriture. C’est de la politique. Pourtant ce n’est pas non plus un essai à proprement parler. Qu’est-ce donc alors ?
Il y a de tout dans ce livre, et comme pour En finir avec Eddy Bellegueule, je m’interroge sur la cohérence, la cohésion, le propos, le message, l’intérêt, l’objectif, le but, l’intention.
D’objet, Qui a tué mon père passe à o(v)ni.
La déception
Après avoir tué les parents, Édouard Louis réhabilite le père dans une tentative un peu paradoxale, parfois incompréhensible, assez peu lisible, finalement, de parler de lui (son père), en l’élevant tout à coup au rang d’objet politique. S’il est ce qu’il est, c’est bien parce que la politique l’a transformé.
« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique ».
Le corps victime de la politique tout autant que la classe sociale, victime. L’image est belle, juste, probablement. Oui. Et donc ? Il nomme. Hollande, El Kohmri, Macron, Sarkozy, Hirsch, Chirac, Bertrand… Le Bottin mondain des politiques se retrouve catapulté dans un non roman, non-essai, non-autobiographie. Parce que « pourquoi est-ce qu’on ne dit jamais ces noms dans une biographie ? ». La tentative de justifier son pamphlet dans le pamphlet même sonne pourtant comme une prétention mal cachée…
Et si Édouard Louis « dit » la politique, il dit sans dire les sentiments, avançant des pions sans trop oser les placer sur l’échiquier de son histoire, proposant des indices et les laissant en vol, dépourvus de gravité.
Édouard Louis mêle tout et ses discours sensés s’en voient étouffés par le travail de l’écrivain. Qui a tué mon père est un livre commandé. C’est un livre construit. Construit, c’est malheureusement bien le terme.
« Il n’y a dans le langage presque que des négations pour exprimer ta vie ».
Et malgré l’histoire vraie, c’est bien le « je » qui définit le « tu » : « Tu n’as pas eu d’argent, tu n’as pas pu étudier, tu n’as pas pu voyager […] ». Parce que ce sont bien tes négations qui expriment la vie de ton père, Édouard Louis, et celles de personne d’autre.
L’écriture du réel brouille et les discours se mêlent. Sociologie, écriture, narration, histoire vraie, vrai débat, faux livre. À trop torpiller, plus rien n’atteint sa cible. Le discours politique arrive aussi soudainement que s’effacent les clés de lecture qui enferment plutôt que n’ouvrent les portes aux lecteurs. L’écriture brouille, le livre est brouillon, et mon avis semble demeurer : En finir avec Eddy Bellegueule n’était donc pas un exercice de style.
La phrase : « Chez ceux qui ont tout, je n’ai jamais vu de famille aller voir la mer pour fêter une décision politique, parce que pour eux la politique ne change presque rien. »
L’itinéraire : Édouard Louis, Qui a tué mon père, Éditions du Seuil, 2018, 95 pages.